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Sayyed AyatoAllah Docteur Sadr Eddine Fadlallah
Sayyida Zaynab reçoit chaque année la visite de plus d'un million de pèlerins qui vont pleurer les ahl al-bayt, les membres de la famille du Prophète.
De chaque côté de la route défilent des murs peints d'un fond bleu sur lesquels des sentences sont calligraphiées, celui de la Syrie - qui verse des larmes de chagrin... des portraits jalonnent la route du Sud, qui relie Damas à la Jordanie. C'est aussi la route qui mène à Sayyida Zaynab, où plus d'un million de pèlerins passent chaque année pour aller pleurer d'autres martyrs, les ahl al-bayt, les membres de la famille du Prophète.
Ils viennent d'Iran, d'Irak, du Golfe arabo-persique, du Pakistan, d'Afghanistan, mais aussi du Liban voisin et de Syrie.
Rendre une visite pieuse au mausolée de Zaynab, fille de l'imâm ‘Alî et petite-fille du Prophète, revient à accomplir "le pèlerinage des pauvres" (hâgg al-fuqarâ'), lorsqu'ils ne peuvent aller ni à La Mecque, ni dans les sanctuaires d'Irak, Nadjaf, Karbala', Samarra' et Kâzimayn. Ils viennent rendre grâce à "la Dame" (al-sitt), lui demander son concours, pleurer sur ses malheurs et ceux de la Famille sacrée,
Le tombeau de la sainte fut longtemps fréquenté autant par les sunnites que par les chiites. Dans le récit de ses voyages, l'andalou Ibn Gubayr (m.1217), rapporte que les chiites occupent dans la région une place extraordinaire et qu'ils sont plus nombreux que les sunnites; Il raconte s'être rendu au mausolée de Sayyida Zaynab pour y passer la nuit et recueillir la baraka de la sainte. Au XIVe siècle, les chiites ne constituent probablement plus la majorité des musulmans de Syrie; Ils continuent toutefois à être présents à Damas. A cette époque, Ibn Battûta évoque le tombeau de Zaynab, il est flanqué d'une mosquée et doté de legs pieux. D'autres auteurs mentionnent ensuite le mausolée ; Ils ne s'accordent pas tous à reconnaître que c'est celui de Zaynab, fille de ‘Alî (as). Le soufi ‘Abd al-Ganî al-Nâbulsî (m. 1731) fait état d'une tombe abritée par une immense coupole, jouxtant une mosquée et un bassin, dont "on dit" qu'elle est celle de Sitt Zaynab. Mais pour lui, Zaynab est enterrée au Caire...
Théoriquement, le mausolée demeura un centre de dévotion pour tous les musulmans, jusqu'à aujourd'hui où le processus est encore observable. Le rite de ‘Asûrâ', qui y est chaque année célébrée. Ainsi ‘Asûrâ' mais aussi le culte rendu à la sainte qui, comme les visites pieuses faites aux imâms, se distingue. Elles se manifestent dès l'entrée dans le mausolée. Les visiteurs se mettent à se pleurer et à verser des larmes. Un second fait marquent vient du fait que la majorité des pèlerins sont des non arabes, c'est-à-dire iraniens, pakistanais, indiens, afghans, ce qui se voit, par un simple regard au costume des femmes et ce qui s'entend, à l'écoute de leur langue ou de leur accent.
Les groupes de pèlerins iraniens sont pris en charge par une institution syro-iranienne qui organise leurs pérégrinations à Damas et en Syrie, les transportant en car d'un lieu saint à un autre. A Damas, le cimetière de Bâb Sagîr, où sont enterrés de nombreux ahl al-bayt et autres martyrs de Karbala', la mosquée des Omeyyades, que l'on dit renfermer la tête de l'Imâm Husayn (as), et le mausolée de sayyida Ruqayya, dans le quartier al-‘Amâra, au cœur de la vieille ville, qui fut récemment rénové. A Alep, un mausolée rénové abrite un rocher où la tête de l'Imam Husayn (as) aurait reposé et où une goutte de son sang aurait coulé; Un autre recèlerait le tombeau de Muhsin, fils de Husayn (as), décédé avant même de naître. Il y a quelques autres sanctuaires à Raqqa (qui est en cours de rénovation), Homs, Hama, ‘Adrâ’.
Sayyida Zaynab reste cependant le pôle d'attraction des pèlerins. Située à sept kilomètres de la capitale, l'agglomération a sa propre vie économique et ses infrastructures touristiques sont en plein développement. Pour compléter les équipements existants, deux hôtels d'une capacité de 600 chambres (l'un de catégorie moyenne, l'autre de luxe) sont en construction au nord-ouest du mausolée ; des restaurants et différents services sont prévus, à l'intérieur et autour de ces hôtels.
Sayyida Zaynab devient un centre économique et touristique, ce qui est largement le fruit des activités commerciales déployées par un riche homme d'affaires syrien, Sâ'ib Nahhâs. Non seulement une filiale de son groupe est le promoteur de ce projet hôtelier, mais sa société Transtour est la seule compagnie autorisée à prendre les pèlerins en charge et il est le fondateur et le président d'une "Commission de coordination économique entre la Syrie et l'Iran".
L'endroit a été véritablement bouleversé depuis les années 50. Râwiya ou Qabr al-Sitt, comme on appelait alors, comptait environ deux cents habitants, des agriculteurs. Il connut deux immigrations massives : en 1949, celle de réfugiés palestiniens et en 1967, celle de réfugiés du Golan. Puis des habitants du village de Fû‘a vinrent s'y installer. Les Irakiens affluèrent à partir des années 70, et surtout pendant la guerre irano-irakienne; Ils furent bientôt rejoints par des ressortissants d'autres pays. Ainsi, la population de Sayyida Zaynab passa de 800 habitants en 1960 à environ 100 000 habitants aujourd'hui.
Quant au mausolée, il a été entièrement rénové dans les années 50, grâce aux efforts déployés par un comité formé en 1951, regroupant des notables chiites de Syrie et un Irakien, al-hâj Bahbahânî. Ils menèrent campagne afin de réunir les fonds nécessaires à la restauration du mausolée. Ce qui fut fait par l'Ayatollah Muhsin al-Amîn, alors le marga‘ de Syrie, et les travaux commencèrent. Ce n'était ni la première, ni la dernière fois que le mausolée de sayyida Zaynab allait bénéficier des largesses de particuliers. En 1935, des notables syriens de la famille Nizâm firent rénover le bâtiment de l'entrée ouest ; En 1950, un commerçant pakistanais, Muhammad ‘Alî Habîb, suite à la guérison prodigieuse de son fils, offrit les précieuses grilles d'argent qui servent d'écrin au tombeau. Puis un commerçant du Golfe paya la couverture en mosaïque des deux minarets du sanctuaire. Le tombeau de la sainte est un "cadeau du peuple iranien" offert en 1954. Six ans plus tard, un commerçant iranien fit don d'une porte dorée, que l'on mit à l'entrée ouest du sanctuaire
Le mausolée profitant d'initiatives privées, à travers la famille Murtadâ qui gère ses waqfs depuis le XIVe siècle, ainsi l'état syrien a avalisé la gestion du waqf par cette famille, à qui échoit également celle des waqfs de mausolées de ahl al-bayt à Damas. La situation est tout autre pour le mausolée de Sayyida Ruqayya, situé dans la vieille ville de Damas. En effet, sa rénovation et son agrandissement ont été entièrement et directement financés par le gouvernement iranien, en coopération avec le ministère syrien des waqfs. Pour ce faire, une partie d'un ancien quartier a été rasé, Il y eut, en fait, un accord réalisé d'état à état. Hormis les anciens habitants de Fû‘a, la population syrienne de Sayyida Zaynab est sunnite ; Les chiites, eux, vivent à Damas, surtout dans leurs anciens quartiers de Kharâb dit "al-Amîn", Jura et Sâlihiyya. La ville a été investie par d'autres communautés chiites que celle de Syrie : de nombreux réfugiés irakiens y résident à côté de Pakistanais, d'Afghans, d'Iraniens, etc. Ils ont eu les coudées franches pour y installer leurs lieux de culte et leurs institutions religieuses ou caritatives et il y a maintenant à Sayyida Zaynab une demi-douzaine de Husayniyyât, lieux consacrés aux commémorations du martyre de l'Imam Husayn (as), sans compter les associations culturelles ou de bienfaisance. C'est le seul endroit en Syrie où l'appel à la prière est effectué selon le rite Ja‘farite.
La ville est devenue un foyer de savoir du chiisme duodécimain et certains aspirent à ce qu'elle parvienne à être comme Nadjaf. En effet, Sayyida Zaynab renferme actuellement neuf écoles religieuses (hawza-s) fréquentées, par plus de mille étudiants. Foyer de savoir, pépinière de clercs et pôle de sacré grâce à son mausolée, Sayyida Zaynab serait alors le centre du chiisme arabe susceptible de concurrencer Qum, abritant le mausolée d'une autre sainte chiite, Fatima, sœur du huitième imâm, Ridâ, ce dont les centres d'enseignement chiites du Liban sont incapables, puisqu'ils ne recèlent pas de lieu saint. La Syrie ne serait alors que la terre d'accueil de ce centre car il n'y a plus de tradition d'enseignement chiite depuis que celle d'Alep s'est éteinte au XVIe siècle, et il n'y a pas de grand mugtahid syrien. Muhsin al-Amîn, qui vint s'installer à Damas en 1901, à la demande de la communauté chiite, en fut le chef spirituel jusqu'en 1952 : il était originaire du Gabal ‘Amil (Sud-Liban), tout comme ses successeurs Husayn Makkî puis le fils de celui-ci, sayed ‘Alî Makkî.
Al-Hawza al-Zaynabiyya, la première école religieuse de Sayyida Zaynab, fut ouverte en 1973, à l'initiative du mugtahid irakien Sayyid Hasan Sîrâzî (1934-1980). Opposant au régime de Saddam Husayn, il vivait à Beyrouth d'où il se rendait régulièrement en Syrie, et en particulier à Sayyida Zaynab, pour prononcer des conférences et nouer des contacts avec des personnalités politiques. Lorsqu'un grand nombre d'étudiants en sciences religieuses de Nadjaf se firent expulser d'Irak, il partit chercher les fonds nécessaires dans les pays du Golfe et, grâce à ses appuis syriens, fonda une hawza à Sayyida Zaynab, avec un "foyer" pour loger enseignants et élèves. Il eut même l'accord des autorités syriennes pour que l'inscription à l'école permette aux étudiants d'obtenir une carte de séjour. Depuis la disparition du fondateur, assassiné à Beyrouth par des agents irakiens, c'est son frère l'ayatollah Muhammad al-Sîrâzî qui supervise les activités de l'école, de Qum où il est lui-même réfugié. Elle renferme aujourd'hui 220 étudiants.
Une dizaine d'années plus tard, c'est une hawza iranienne qui vit le jour, Hawzat al-imâm al-Khumaynî. Elle fut créée en 1982 à l'initiative de l'agent (wakîl) de l'imam Khumaynî, qui est aujourd'hui celui de sayed Khamenei, et regroupe aujourd'hui environ 150 étudiants : Des Syriens, des Irakiens et des Iraniens, mais aussi des ressortissants de différents pays d'Afrique (Sierra Leone, Côte d'Ivoire, Guinée, Tanzanie, etc.) et d'Asie (Pakistan, Afghanistan, Inde, Indonésie). Ses enseignants, eux aussi de différentes nationalités, ont en général étudié à Qum; D'autres écoles ont suivi. Le phénomène est dû à la labilité qui caractérise en général les écoles religieuses chiites où il n'y a pas de bureaucratie centralisée et qui fonctionnent selon le même schéma traditionnel : un clerc réputé pour son savoir prend l'initiative d'ouvrir une école, son charisme attire à lui à la fois les riches donateurs et les disciples nécessaires à la concrétisation du projet. Si le clerc en question quitte l'endroit pour aller s'installer ailleurs, ses disciples le suivent; S'il vient à mourir, les étudiants se dispersent dans d'autres écoles. Car c'est avant tout l'enseignement d'un mujtahid qui est recherché par ses disciples qui l'admirent pour l'étendue de sa science, l'habileté de sa méthode mais aussi pour sa piété et ses qualités morales. La souplesse de l'organisation qui est réduite au minimum, la liberté dont jouissent les étudiants de choisir leurs maîtres et les matières qu'ils veulent approfondir, l'absence d'examen contrôlant l'acquisition des connaissances font que ce système repose entièrement sur les individus, mujtahid-s et étudiants.
Les cours du dernier cycle d'étude, appelé baht al-Khârig (étude "hors" des livres, parce qu'on ne les utilise plus) consistent en l'examen d'une question précise, d'abord par le maître, puis par les étudiants qui sont invités à défendre leur avis en explicitant leur argumentation. Ce qui favorise l'émulation entre les étudiants et les entraîne à la “déduction de jugement légaux“ (istinbât al-ahkâm al-sar‘iyya), c'est-à-dire leur confère la compétence d'ijitihâd.
Ce système traditionnel était appliqué dans les écoles de Nadjaf, malgré la tentative de réforme opérée à la fin des années cinquante par des mugtahid-s désireux de le rationaliser et de le moderniser. C'est au sein de ce système traditionnel que Abû al-Qâsim al-Khû'î (m. 1992), surnommé "le chef de file de l'école" (za‘îm al-hawza al-‘ilmiyya), avait formé des dizaines de mugtahid-s et s'était imposé comme marga‘, référence à imiter en matière de préceptes religieux. La crédibilité en matière de sciences religieuses et le prestige, dans tout le monde chiite, de grands mugtahid-s tels Khû'î rejaillissaient sur toutes les écoles de Nadjaf, considérée comme le centre, avec Qum, du savoir chiite. Aujourd'hui, bon nombre de ses mugtahid-s les plus réputés ont fui Nadjaf qui ne peut plus remplir ce rôle. Sayyida Zaynab pourrait-elle prendre le relais ?
Le grand margi L'ayatollah sayed Muhammad Husayn FadlAllâh déploie une activité d'enseignement religieux au Liban ; Parallèlement, il s'est implanté à Sayyida Zaynab où il préside aux destinées d'une école et en assure le financement. L'Ayatollah FadlAllâh a repris en 1992 la tête d'une école fondée deux ans plutôt par un groupe de clercs, et il y vient chaque semaine. Par ailleurs et à l'occasion de ses visites hebdomadaires à Damas, il entretient des contacts réguliers avec les chiites installés en Syrie tout comme avec la communauté chiite syrienne.
Cependant, les hawza-s de Sayyida Zaynab ne forment pas de mugtahid-s. En effet, elles ne sauraient réellement y prétendre, car il leur faudrait des enseignants et des étudiants de haut niveau capables d'animer les cours de baht al-hârig où l'aspirant à l'ijtihâd puisse faire montre de ses capacités et de son savoir, briller, s'imposer, etc. Ainsi, bien que l'on ne puisse nier la place nouvelle que Sayyida Zaynab occupe dans le monde chiite depuis quelques années, il ne faudrait pas surestimer ses capacités en tant que foyer de savoir ou comme centre religieux.
Certains voudraient bien que Sayyida Zaynab apparaisse comme une alternative à Nadjaf et à Qum. Prétention qui est favorisée par une conjonction de facteurs politiques Les hawza-s, contrairement aux autres écoles religieuses du pays, ne disposent pas d'autorisation officielle du ministère des waqfs, hormis al-Hawza al-Zaynabiyya
Par ailleurs, Ridâ Murtadâ, l'administrateur du mausolée, s'oppose à la prolifération de ces écoles religieuses, trop traditionnelles à son goût. De son côté, il a ouvert, fin avril 1995, un centre de documentation et de recherche, l'"Académie Sayyida Zaynab", situé dans l'enceinte du mausolée, destiné à des chercheurs et des conférenciers triés sur le volet.